Week-end au vert
Aurore est évoquée dans les journaux. Rubrique faits divers, c’est bien l’unique encart qu’elle mérite : à la hauteur de sa petitesse. Titre : une étudiante en droit mystérieusement disparue. Je suis surpris d’une telle réactivité publique. De ce que rapportent les journalistes, c’est sa mère qui, surprise de ne pas obtenir de réponse à ses appels, est passée à son studio. En découvrant le téléphone débranché, elle a interpellé la police.
Motivé par la convoitise de la célébrité télévisuelle, son voisin et prétendant a témoigné dans l’édition régionale du JT. Tout ça pour dire qu’il n’avait rien constaté d’anormal dans son comportement. Brillante analyse. Ça mériterait un Molière.
Vu l’état légumineux d’Aurore, je peux m’octroyer un week-end au calme de ma campagne normande. Maman me manque. J’ai envie de partager avec elle le fait que je me suis enfin trouvé un sens à mon existence, qu’elle peut être fière de son unique progéniture. Je sais qu’elle approuvera en silence, me regardant avec ses yeux d’autrefois, son unique fils qu’elle a mis tant d’années à concevoir, son petit miracle.
Deux heures de train et une demie- heure d’autocar plus tard, j’arrive enfin à la maison de mon enfance. Comme à l’accoutumée, j’ouvre grand les fenêtres avant de l’embrasser. Tout en concoctant son plat de pâtes préféré (aux girolles et au foie gras), je lui narre mes aventures sans trop entrer dans les détails. Après avoir débarrassé la table, je regarde un peu la télé en sa compagnie et lui souhaite une bonne nuit. Elle me fait de la peine Maman. Elle commence à sentir un peu mais je passe outre. Elle perd ses cheveux par poignées aussi. Il faudrait que je lui rende visite plus souvent pour débarrasser la maison de cette couche de poussière et de ces toiles d’araignées. C’est triste d’en arriver là : assise 24 heures sur 24 dans le fauteuil de papa, désespérément seule et silencieuse, toujours plongée dans la pénombre. Elle est décédée dans cette position il y a trois mois déjà. Quand je l’ai découverte ainsi, je me suis promis de la respecter au-delà du trépas en ne l’enfermant pas entre quatre planches, et encore moins en la réduisant en cendres. Les hommes sont d’une cruauté innommable envers leurs défunts. Au moins, c’est comme si elle était éternellement assise sur les genoux de Papa. Elle n’est pas très prolixe mais je sais qu’elle m’écoute.
Je crois qu’elle est heureuse de mon histoire avec Carole, elle sait que c’est une fille bien au fond et me soutient dans mon combat pour la conquérir.
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