LE TRIBUNAL DES MOTS


Enfin la sentence ! Décision irrévocable du tribunal des mots, fort de ses vingt six magistrats, les lettres de l’alphabet : Mort au Verbe !
Ou singulièrement, bannissement, exil sur l’Île des Turpitudes, rançon de la conduite ignominieuse de ce monarque absolu, fin d’un règne sans partage, exit sa propre certitude, celle d’un Dieu unique, croyance d’une existence à jamais souffle de vie de ses congénères, les autres mots.
Châtiment suprême, fin d’un orgueil malsain, croix sur la quintessence de notre si beau langage. Une effroyable chute, dans l’oubli de nos écritures, inanité de tant d’efforts de ce roi sans partage. Le carillon fatal, glas de son règne, au son si harmonieux de ses si jolies cloches écho unique au sein d’un campanile : mort au verbe !

Salle comble, regard sur le public, les adjectifs, les noms, pronoms et autres adverbes, une larme sur leurs visages candides. Sans le verbe, la chaîne insécable depuis tant de siècles, envisageable ou pas ? Torpeur pour certains, ignominie ou joie extatique pour d’autres, les pronoms personnels sans voix, seule certitude, l’exil avec leur maître, le verbe.

« Bonjour, bel oxymore, ton nom ? Clair obscur. 
Quelle jolie figure de style ! Et vous les autres, anaphore, pléonasme, allégorie, hyperbole, lipogramme, palindromes ! Le souffle de la liberté enfin de retour dans un monde sans le verbe !

Ah, ce mirifique langage, le mien, le tien, le nôtre, celui de Montesquieu, d’ Hugo ou de Balzac. Oui, Balzac, cet admirable et prolifique auteur, maçon de sa propre maison des songes, ici avec nous dans l’écriture sans verbe : ses pensées à ce cher Honoré ? Fertilité, un doux plongeon dans mon imagination source de discussion de lui à moi, seul à seul, comme dans un rêve évidemment littéraire. Prétention indolente de ma modeste personne, élève de ton école balzacienne, Honoré ? Quelles pensées relatives à ta propre académie ?

« Une ténébreuse affaire » que cette écriture à vingt romanciers pour un ouvrage unique. Et les ego de ces vint personnages, harmonie ou belliqueuse engeance ? Dans mon « Auberge Rouge », certainement pas, refus catégorique du « Père Goriot », une « Comédie Humaine », non pas pour moi ! 
« Ma demeure au contraire, loin de ce tintamarre, ma solitude unique, inaliénable créativité ! »

Existence et pérennité à l’écriture sans verbe, ni pitié, ni haine ou quelconque sentiment pervers, aucune mélancolie pour cet être aujourd’hui dans l’oubli, respect face au jugement du tribunal des mots.
Nul besoin de ces verbes, honneur à nos amis, nos compagnons, les autres mots gages de notre insolente verve !

- Le Président : « Quelles déclarations de nature à la défense de votre existence parmi nous, des propos à nouveau discriminatoires ? »

- Le Verbe, une voix de stentor face à ses détracteurs : 
« Cruauté malsaine de votre présidence ! Quel parcours honorifique ! Le plus long mot de la langue française à la lettre « a », Anticonstitutionnellement, arrogance aisée de votre place au sein de notre vocabulaire, révolution somme toute traditionnelle, transfert des privilèges, selon votre avantage ! Position aisée de celui dont le désir semblable au sombre costume de ma propre déchéance, excès de contradictions et de despotisme. Les reproches à mon endroit, une subsistance mais certainement pas l’épilogue de ma vie. L’anarchie, proche avenir sombre pour tous ces mots enchaînés au tumultueux fleuve de phrases sans Moi !

Mon départ sur l’Île des Turpitudes, acceptation sans haine avec mes deux parfaits sigisbées, les plus fidèles, mes auxiliaires. Bon vent et aucune souffrance pour notre grammaire si merveilleuse. »

Mort au verbe, Vive la Liberté, exhumation de ces phrases enfin sans leur sempiternel allié....celui-là même nouvel hôte de cette île, jugement du Tribunal des Mots.
Philippe DM


Publié le 11 juin 2014

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L'auteur

Philippe Dal Molin

Âge : 64 ans
Situation : Union libre
Localisation : Paris (75) , France
Profession : Commandant de Police
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