Kidnapping – Brève sans Verbe
« Quelle histoire ?!
Tout à fait d’accord.
Comment une chose pareille… ?
Mystère.
Et personne ne… ?
Personne, non… »
Lazard, les yeux bleus, le regard trouble, le sourcil froncé. Un homme réfléchi, pensif. L’autre, Barnaquin, un homme impatient, de peu de mots. Au final, une conversation bien succincte sur un cas plutôt clair. Mais que de questions sans réponse ! Du coup, entre les deux compères, une conversation amoindrie…
Lazard, de la Crim’. Barnaquin, des Affaires Littéraires.
« Pourtant, Lazard, quelqu’un… ?
Personne, à nouveau… Tous immobiles. Aucune réaction. Barnaquin, combien de fois… ?!
Compris, compris, Lazard ! Merci… Dans le doute je…
Pas de doute. Aucun doute sur la question… Kidnapping simple et criminel. Rien de plus. Mais, tellement, déjà !
Terrible… Cette innocence, cette …
Oui, tout à fait.
Un rapt ?
Encore la même question ? Eh bien oui, un rapt. Un enlèvement. Un…
Incroyable ! Désolé pour la répétition. Mais mon devoir et ma position…
Oui, d’accord.
Barnaquin, songeur, indécis sur sa prochaine question. Lazard, concentré, plongé dans ses notes, circonspect sur le ravisseur, perturbé par le ravissement.
« Dans quelles conditions, cet enlèvement, Lazard ?
Pendant un black-out.
Pas étonnant.
Pourquoi donc ?
Des conditions idéales pour un kidnapping. Moins de témoins, moins de traces. Même l’entourage de la victime : impuissant. A ce propos, justement, quelles informations sur la victime ?
Une petite phrase plutôt banale, sans description particulière. Lors d’une promenade dans un parc, parmi les feuilles échouées de-ci delà, brunes ou ocres, selon leur arrivage, de l’herbe verte et courte, comme dans tout parc ; eh bien, cette petite phrase, victime innocente et impuissante d’un kidnapping ignominieux, donc, …
Quel lyrisme !
L’inspiration de la verdure, sans doute… Ou de la tragédie…
Donc, une phrase ?! Avec un sujet, quelques compléments, et un ver…
Oui, justement : le kidnapping de ce dernier, voilà toute notre affaire.
Une phrase sans cet élément majeur, quel vide !
Quel manque, oui…
Pauvre phrase… Sans doute sens dessus-dessous, sans doute sans sens, toute retournée…
Sans queue ni tête, quoi…
Oui, indubitablement.
Ah, d’accord… Une affaire corsée, en apparence. »
Lazard, du chef vers le menton, haut puis bas. Barnaquin, les paupières closes, en accord avec son confrère.
« Et la note laissée sur les lieux du crime, Lazard ?
Justement, la voilà tout juste récupérée par mon équipe.
Et ?
Sans vraiment de sens.
Comment ça ?
Des déclarations vitupérantes. Voici :
De la phrase avant toute chose, et pour cela
Plutôt l’impair, l’endroit, ou l’envers. Mais jamais
Ce dictateur sans diction au diktat de damné !
Cet invertébré sans verve de l’au-delà !
Ce mot avec pour tout commencement le « V »,
Ce mot V, ce mauvais, ce grossier insolent,
Sans existence à lui tout seul, avorté lent,
Un vilain vil et vain, morveux et délavé.
Un roi en quête de sujet et de compléments,
Sans légitimité ni sans juridiction ;
Posé sur son trône sans aucune élection,
Nul besoin dans une phrase de ce véhément !
A bas ce contenant sans contenu ! Toujours
En constante réclamation d’un entourage !
Ce con’ sans ‘jugue, sans passé, futur, ni âge !
Pas à la hauteur du tout d’un quelconque amour !
Ce ver bœuf et vache, ce verre bleu et vert,
A la recherche du moindre accompagnement,
D’une escorte armée pour plus d’encouragement,
D’une entrée, d’un dessert, car bien plat et sans air.
Et donc, notre réclamation simple, finale :
La phrase indépendante de cette oppression,
La phrase en pleine respiration, expression,
Bref, la phrase enfin libre de tout joug fatal !
Le Comité de Libération de la Phrase
« Quelle envolée, ce voleur ! » Barnaquin, plutôt impressionné.
« Plutôt de la vindicte. » Lazard, toujours impassible
« En tout cas, bien bavard, ce kidnappeur.
Plus que nous, indubitablement.
Pas de rançon, alors ?
Effectivement.
Pourquoi donc ?
Le ton de la lettre.
Ah oui.
Aucune intention du ravisseur d’un retour de ce …
Sur le bout de la langue ?
Mais jamais au-delà des dents, oui. En tout cas, aucune intention, donc aucune rançon.
La fin de cette phrase, donc ?
Selon les interprétations, sans doute.
De l’enquête, aussi, alors ?
Selon les interprétations, également. »
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