Au commencement, la création du verbe
Après la décision du Tout-Puissant et sa préférence pour la création plutôt que le néant, six jours durant, la barbe en bataille, l’action, le labeur, le bruit infernal des forges divines, le tremblement de la matière, le choc d’énergies inconnues, le fracas et des éclairs de partout visibles... Puis, enfin, à l’aube du septième jour, le retour au silence céleste et le repos du guerrier éternel.
Le regard fier, la sueur au front, la satisfaction enfin, car sous ses yeux divins : sa Création ! Un tout, avec la vie, animale, végétale et humaine ; des couleurs chatoyantes ou mélancoliques ; le jour et la nuit, mais aussi le crépuscule et les aurores pleines d’espoir. Au-dessus, un ciel étoilé avec une lune, un soleil et quantité de planètes lointaines, porteuses de rêves ; en d’autres termes, un monde ouvert au futur, plein et complet... mais pourtant, comme un ressentiment, la sensation d’un manque, de quelque chose toujours absent.
Cette création : une merveille indéniable, mais finalement incomplète. Hésitation du Tout-Puissant, la Création à l’arrêt, au bord de l’annulation. Regards inquiets alentour, vaine recherche des yeux de l’Éternel. Entre ses mains certainement tous les pouvoirs, mais surtout la solitude, car d’éternel : un seul. Ses nouvelles créatures : pas vraiment une compagnie, car trop jeunes ou muettes, donc personne pour de l’aide.
En bas, un ricanement, le Malin au regard de braise, avec sur la Création le jugement de son œil narquois. Pour lui, pas de doute, une erreur évidente, mais hors d’atteinte de la réflexion de l’autre, là-haut. Le responsable : son mensonge, ce manque de liberté, voilà l’évidence, avec comme résultat un monde réduit et sans espérance.
À cause de l’incompréhension du Tout-Puissant, cette Création, la voilà maintenant comme un gaspillage inutile, proche de la perte totale. En effet, l’explosion de la colère divine, souvent synonyme d’extinction, de déluge capable de la destruction totale, avec un retour au néant d’avant la création. D’où l’importance du sauvetage du vivant et les prières du Malin, puisque sans création plus d’amusement, que l’ennui d’un univers sans existence.
Hésitation, le Tout-Puissant totalement impuissant, car l’humilité absente de sa raison, l’argumentation inexistante au paradis. Alors, pourquoi toutes ces questions ? Pourquoi aujourd’hui loin de lui sa confiance absolue, sans doute à cause des ricanements du Malin, autant de flèches contre son orgueil.
Puis, soudain, la divine révélation, la découverte de la chose absente de la Création, le don suprême : l’entendement.
Mise en place de la dernière épreuve. Le don de la compréhension, bien sûr, mais pas offert. Plutôt la création d’une nouvelle énigme, par exemple, sous la forme d’un fruit à la cueillette interdite. Et le grand prix pour la première des créatures au désir plus fort que sa peur divine, la récompense suprême : la maîtrise totale des lieux et des autres.
Mais le Malin toujours à l’affût, avec la provocation comme arme et dans sa main la pomme interdite en offrande devant la créature par lui élue. Résultat immédiat, un partage enfin entre l’homme et la femme, naissance chez eux du refus de ce statut d’animal, même heureux, et apparition du désir d’égalité avec Dieu
Alors, les regrets tardifs du Tout-Puissant, mais malgré ses larmes d’impuissance et cette terrible punition en remplacement du paradis, malgré la menace d’une souffrance divine et éternelle, voilà, parmi toutes les créatures, l’homme et son jugement, sa liberté de choix, avec des erreurs sûrement, mais des erreurs humaines. Une créature enfin égale au Malin et à son créateur.
Ainsi, grâce à l’apparition du verbe, à l’échange par la parole puis la compréhension et l’intelligence, la naissance d’une toute nouvelle liberté, symbole d’indépendance. Ce don extraordinaire, mieux que la vie et le céleste, le verbe comme un commencement au Tout. Grâce à la liberté des choix, l’apparition d’une véritable impulsion à la découverte d’autres mondes et peut-être même, d’autres dieux.
Un vrai miracle, même si pour cela, depuis deux millénaires, là-haut, la résonance des lamentations divines au son des alléluias, et en bas, bien plus près de nous, le regard brillant et observateur du véritable maître du genre humain.
Mais la crainte, à présent, qu’après tous les massacres et le retour de l’absence, la disparition des dieux, des diables, des choses et des gens, la survie d’une seule puissance dans l’éther infini et après toutes ces péripéties le résumé de l’histoire, tout simplement, du commencement à la fin : le verbe, car sans lui, pas d’histoire possible... le verbe véritable et unique créateur.
Commentez