Il était une fois
Voici Robin, notre héros, petit garçon déjà bien grand pour son âge, plein de courage et sujet à l’admiration incommensurable de ses parents. Et pourtant, pourtant... Parfois sujet aux irrésistibles tremblements d’une feuille roussie et flétrie par la cruauté de l’automne.
Chute inévitable et inexplicable. Quelque chose d’indicible, pas de la peur non, mais une sorte de petit quelque chose au fond de son cœur, comme une sournoise toile d’araignée doucement tissée.
Les moments les plus propices à cette drôle de sensation ? Au coucher, là sous la duveteuse couette, instant universel de relaxation et de détente. Sauf pour Robin, car pour lui bonjour l’abandon, l’esseulement, adieu la douce présence de Papa et Maman. Place à la tricherie et la mascarade, par feinte stratégique de l’épuisement suite à la lecture de ses gros albums illustrés, argument implacable à la préservation de la précieuse lumière allumée. Seule source de rassurance ? les nuits doucement éclairées du halo léger de la pleine lune et le vrombissement des voitures.
Pourtant aucune preuve de danger, certes la probabilité d’une visite importune de cambrioleurs ou autres agresseurs peu scrupuleux mais non, pas d’angoisse du fait de la réalité.
Une nuit, panique à bord, réveil au cœur de la pénombre, suite au passage de cette maman soucieuse des notes d’électricité et de la qualité du sommeil de son enfant. L’apparition d’une silhouette dans un mouvement latéral de lévitation au-dessus du sol. Contournement curieux du lit de Robin, puis la sensation de la présence d’un être éthéré à son chevet. Impression de connexion télépathique ou du moins manifestation de son intention de communication par la pensée. Assailli de terreur, réflexe pavlovien de hurlement et allumage immédiat de la veilleuse. En réaction, évaporation soudaine de la silhouette. Irruption de maman dans la pièce, tentative d’apaisement verbal mais sentiment de honte suite au cri strident sorti de sa gorge bien indigne de son âge.
Quelques années plus tard. De carrure certes fluette, que de la force à l’intérieur. Le jour de l’avènement de Robin au statut d’homme ? Paradoxalement à la découverte de larmes dans les yeux de son père, pour la première fois de sa vie.
Un bien beau garçon ce Robin, pas très bien dans sa peau cependant. Collection de tatouages aux traits finement tracés sur l’ensemble de son corps tel un squelette de Tim Burton. Mais dissimulation de ces derniers sous les manches longues de ses chemises trop larges, même en été, par souci de préservation de la sensibilité parentale. Pratiques de voyous à leurs yeux.
Encore sujet aux tremblements parfois, mais différemment d’autrefois, plutôt comme un léger tressaillement, mais avec une lourdeur cette fois, juste sur la poitrine. Soupirs arrachés par ce lest psychologique. Dissimulation habile de ces appréhensions aux gens un peu simples d’esprit susceptibles de railleries à son égard. Sa plus grande tracasserie ? Le caractère imprévisible et injustifié de ces accès d’affliction, spécialement au lever du soleil..
Un dimanche matin ensoleillé, après une nuit quasi comateuse, en lieu et place de son réveille-matin sur son étagère, une sorte de lutin, pas une figurine, un vrai lutin en chair et en os. Immobile, avec un gentil regard à son attention, la tête légèrement penchée de côté. Après un clin d’œil, évanouissement du lutin dans un “pouf” moelleux. Malgré l’air bonhomme du personnage, quel sentiment de glaciation pour Robin.
Quelle visite incongrue, mais pourquoi donc ? Désormais en détention de la preuve irréfutable de l’irrationnel, retour implacable du tressaillement de la petite enfance du fait de l’éventualité désormais certaine de la visite de n’importe quel être bizarre dans son existence, et ce malgré la porte fermée à double tour.
A moins d’une divagation totale de son esprit, théorie beaucoup plus rassurante pour lui parce que court-circuit cérébral donc rationalité scientifique. Bref gros penchant de Robin pour l’hypothèse de la folie plutôt que la réalité de l’irrationnel.
Evénement rapidement rangé dans un tiroir de sa mémoire par auto conviction de l’hypothèse d’onirisme.
Ecoulement des années, expérience de l’amour, de la routine, de la tentation, du remords, de la peur de la solitude.
Et puis un jour, au moment du service de pâtée à son chat Patate, désintérêt de ce dernier envers l’émincé de dindes au profit d’une séance de torture sur un grand insecte martyr. Pas le genre d’insecte effrayant, tout velu ou avec une vilaine carapace, non un genre de cousin avec de longues pattes et plein d’ailes aériennes. Une libellule peut-être. A l’approche de Robin, dépôt de la proie aux pieds de son maître par instinct de fierté féline.
Quelle curiosité : un insecte bizarrement pailleté et scintillant, comme les papillons de nuit avec leur poussière argentée lors d’impact avec un mur. Et quelle surprise quand… sous les ailes chiffonnées de l’animal… une petite bonne femme minuscule.
Bruyante de grésillements, signe d’une contrariété certaine pour la petite créature. Et puis visiblement une blessure à la jambe. Passage d’une feuille de papier sous l’animal et dépôt délicat sur son bureau. Première pensée : une fée. Mais résurgence soudaine de sa peur de l’irrationnel. Mais alors quel usage de cet être bizarroïde ? L’insecticide ? Non apparence trop humaine donc bien dissuasive, et puis persistance du problème profond même après élimination de l’intruse : l’obligation de foi en l’incroyable. Les soins ? Mais dans ce cas gros risque de révélation de ses probables supers pouvoirs incontrôlables et inquiétants. Le lien d’amitié ? Mais quel fardeau qu’un tel secret ! Evidemment possibilité de démonstration à ses potes pour la conquête de leur confiance, mais bizarrement aucune envie d’exhibition tel un animal de cirque, désir intime de possession égoïste de cet animal extraordinaire. Mais peur de l’attachement, parce qu’espérance de vie inconnue de ces petites bestioles et peur de la souffrance de sa perte.
En même temps quelle chouette compagnie pour une fois à forme à peu près humaine, quelle perspective réjouissante !
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